LA TROISIEME CAUSE DE NULLITE DU « TRAITE » :
la violation de toutes les formes juridiquement impératives.
Première Partie : Procédure de formation et de conclusion des Traités en Bretagne.(1)
Il est nécessaire, pour « démonter » la mécanique du faux « traité » de 1532, d´exposer comment se
négocient et se forment les traités en Bretagne, pour pouvoir produire des effets en droit interne,
c´est-à-dire pour être juridiquement valides, et engager la Nation.
LorsquÆon se trouve en présence de contrats simples par exemple l´achat ou la vente d´un objet
contre une somme d´argent -, les formalités sont réduites au minimum (2).
Le propriétaire de l´objet peut, instantanément, se désaisir de celui-ci entre les mains de l´acheteur, qui lui remet la somme
convenue, sans autre forme de procès (3).
Il n´en va pas de même pour les contrats importants, tels la vente d´un immeuble, le contrat de bail, une hypothèque, un contrat de mariage, les donations, etc.
Dans ce cas, le droit prévoit, dans l´intérêt des contractants, des formalités plus ou moins complexes,
parfois lourdes : nécessité d´un écrit ; publicité de l´acte ; obligation de recourir à une personne
qualifiée (officier ministériel ou d´état civil
...) ; publicité de l´acte ; obligation de respecter des
délais, etc.
Lorsqu´il s´agit d´engager collectivement un groupe, un peuple, à plus forte raison une Nation, des
précautions strictes ont toujours été prises, dans l´histoire, en raison de l´importance des engagements
en cause, et des conséquences, parfois graves, de la violation de ces engagements, qui peuvent aller
jusqu´à des conflits armés, ou provoquer des sanctions telles qu´amendes très lourdes, cessions de
territoires, etc.
A l´époque ou se situent les faits que nous analysons, les Institutions de l´Etat breton sont résolument
modernes, comme nous l´avons démontré ailleurs (4).
Alors que la France a sombré, depuis Louis XI, dans l´absolutisme (5), et que le gouvernement de
François Ier est particulièrement autoritaire ce que l´on ignore, habituellement (6), celui-ci ne
répondant ni de près ni de loin à l´image de Chevalier qu´il tient à donner de lui même (7) -, le
gouvernement breton, qui perdure jusqu´à la mort d´Anne de Bretagne, est consensuel, et largement
empreint de paternalisme (8).
Alors qu´en France le pouvoir est entre les mains d´un seul homme, qui
incarne la loi, et souvent en mésuse (9), en Bretagne, au contraire, le Duc et le gouvernement sont
dans l´obligation de consulter la Nation, et ne peuvent guère prendre de décisions importantes sans
que le « Parlement général de Bretaigne » ait exprimé son accord (10). La loi, en Bretagne, n´est pas
l´oeuvre du Souverain, mais est considérée, comme le souligne Planiol, « comme étant l´oeuvre du
Parlement général » (11), c´est à dire du pays tout entier.
Il en va ainsi pour les traités internationaux (12).
Il ne suffit pas que le Duc ait décidé de conclure un
traité avec tel Etat, et qu´il souhaite y faire figurer telles clauses plutôt que telles autres, pour que sa
volonté devienne réalité.
Outre les avis multiples qu´il sollicite des principaux du Duché, et de toutes
personnes informées (le Duc gouverne « à grand conseil ») (13), la procédure de formation et de
conclusion des traité internationaux comporte plusieurs phases, qui sont, précisément, celles que
respectent les Etats du XXI ème siècle (14) :
-
- L´initiative. Dans tous les cas, elle émane de ce que nous nommons aujourd´hui « le pouvoir
exécutif » : le Duc, le Chancelier-Premier ministre, les membres du gouvernement (les
Conseillers).
Il n´y a guère d´exceptions à la règle (15).
Comme nous l´avons dit (16), le
Parlement général (les Etats), ne possèdent, à ce niveau, aucune prérogative, et ne peuvent initier
le processus, ce qu´il est important de souligner une fois de plus.
Certes, les Etats, dans ce pays ou
le gouvernement est volontiers à l´écoute des autres Institutions, ceux-ci ont la possibilité
d´envoyer en délégation plusieurs de leurs membres auprès du Duc ou du Chancelier, afin de leur
suggérer telle ou telle démarche diplomatique y compris l´envoi d´une ambassade auprès d´un
Etat ou d´un Souverain étranger -, mais une telle démarche a valeur de prière ou de sollicitation,
en aucun cas d´initiative susceptible de mettre en oeuvre un processus suivi d´effet (17).
La désignation des ambassadeurs (18). Le gouvernement - et lui seul -, désigne les personnes
habilitées à discuter et à négocier des termes du traité que l´on envisage, le cas échéant, de
conclure avec l´Etat en cause (18). Ces personnes sont, généralement, désignées sous le nom
d´ambassadeurs, ou de procureurs, plus simplement d´envoyés, ou de députés (19).
Les ambassadeurs sont choisis, le plus souvent, parmi les proches du Duc, ou ceux qui le
conseillent habituellement : membres du Conseil ducal, princes du sang, prélats, clercs ...
Il arrive
que le Chancelier en personne conduise la mission diplomatique, lorsque les négociations à mener
sont importantes (20). Certaines compétences particulières sont parfois requises, selon la matière à
traiter, ou selon le pays en cause. Ainsi, les négociations avec la France et l´Angleterre, fréquentes,
exigent des diplomates une parfaite connaissance de ces pays ... et de la psychologie de leurs
gouvernants (louis XI, en particulier, est particulièrement retors) (21).
Les ambassadeurs sont munis d´un document les accréditant pour négocier (lettres de créance)
(22), précisant leurs noms, titres et qualités. Leur mission peut leur être précisée verbalement par
le Chancelier (ou le Duc). Habituellement, elle est écrite (23). Les directives qui leur sont données
peuvent être d´une grande précision ; les « incidents de parcours » peuvent être prévus à l´avance,
ainsi que les moyens d´y remédier, ou de les contourner (« si vos interlocuteurs vous disent ceci,
vous répondrez cela » ; mais s´ils vous disent cela, vous répondrez ceci », etc.). Des conseils de
stratégie peuvent leur être donnés. Des précautions particulières sont parfois nécessaires, la France
entretenant un réseau d´espions aptes à intercepter les documents secrets (on a vu rédiger des
directives écrites, contredisant les directives verbales données aux ambassadeurs, afin que les
intentions du gouvernement soient protégées, et ne puissent tomber dans des mains ennemies)
(24).
- - Les négociations.
Elles peuvent se dérouler en des lieux très divers (Paris, Tours, Londres
… ), et durer plus ou moins longtemps, selon les circonstances, les matières à traiter, les
difficultés rencontrées ...
Lorsque l´enjeu est important - et que la distance le permet -, le
gouvernement est tenu au courant, afin qu´il puisse, s´il y a lieu, donner son accord, désapprouver,
modifier ses directives initiales, suggérer d´autres stratégies (25).
De véritables rapports peuvent
lui être adressés (26), pour lui permettre de réagir. Un ou plusieurs textes sont rédigés, à titre
provisoire, sous réserve de l´accord des gouvernements. Il arrive que les ambassadeurs reçoivent
les pleins pouvoirs (27). En toute hypothèse, les négociations sont presque toujours délicates ;
n´en sont chargées que des personnes possédant pour cela expérience et savoir faire.
Les
ambassadeurs bretons passent pour être retors, et pour connaître bien leur métier. Ce qui n´est pas
surprenant, la cour des Ducs étant un centre diplomatique important en Europe, compte tenu de
l´importance de la Principauté sur la scène internationale (28).
- - La rédaction du texte du traité, et les signatures valant accord des parties.
Lorsque
les parties contractantes (en pratique, les deux chancelleries), sont d´accord sur les « articles » qui
font l´objet des négociations (29), différentes possibilités existent pour les concrétiser sur le
parchemin. Dans le cas le plus simple, celui ou les co-contractants sont présents en un mÊme lieu,
un seul texte est rédigé, un exemplaire est remis à chacun d´eux, portant leur signature (30), et
celles de leurs co-signataires.
Cette hypothèse est rare.
En pratique, les ambassadeurs désignés par
l´une des parties se rendent auprès de l´autre partie (par exemple, les Bretons partent pour
l´Angleterre), et négocient soit directement avec elle, soit, le plus souvent, avec ses « procureurs »
(le roi ou les conseillers à qui il a donné procuration à cette fin). Les négociations terminées
dans les conditions ci-dessus, ce qui, nous l´avons dit, peut prendre du temps -, le texte
« définitif » (ou réputé pouvoir l´être) est rédigé par les négociateurs des deux camps, et est signé
par le Souverain auprès duquel les négociations se sont déroulées (par exemple, le roi de France,
le roi d´Angleterre, etc.). Ce texte est acheminé, en général par les ambassadeurs concernés,
auprès de leur propre Souverain.
Celui-ci, ou bien fait ajouter sur l´original un additif très précis
exprimant, sans ambiguité, son plein accord, ou bien, par un acte séparé, reprend les « articles »
sur lesquels les deux gouvernements se sont mis d´accord, et y appose sa signature, avec celle de
ses cosignataires (Chancelier, conseillers, prélats, etc.). Ainsi, le traité de Senlis est-il signé, dans
un premier temps par le roi Louis XI, le 16 octobre 1475, puis, les ambassadeurs bretons étant
revenus auprès de leur gouvernement, par le Duc François II, le 5 novembre suivant (31).
Le texte des traités n´est jamais ambigu.
L´accord des parties contractantes est toujours exprimé
en termes clairs, répétés plusieurs fois, avec usage de synonymes, destinés à confirmer qu´elles se
sont bien comprises, que leurs intentions sont limpides, et qu´il ne doit pas, en principe, apparaÎtre
de difficultés ultérieures, du moins quant à l´interprétation de leur volonté (32). Ainsi, par
exemple, lors de la signature du traité de Senlis, le Duc de Bretagne s´engage-t-il à « respecter
ensemble et chacunes (c´est à dire toutes) les choses sus énumérées », les rédacteurs ajoutant :
« nous jurons, nous promettons, nous exprimons notre accord, et par les présentes, nous
promettons, en paroles de Prince, sur notre honneur ..., de les tenir (c´est à dire de les respecter),
de les entretenir, de les garder, de les observer, de faire et accomplir de point en point selon leur
forme et leur teneur, sans jamais aller à l´encontre, par nous ni par d´autres, de quelque manière
que ce soit ».
- - La ratification par les Etats de Bretagne.(33)
La procédure ne s´arrête habituellement pas
là. Dans la quasi-totalité des cas, le texte du traité est soumis à l´approbation des Etats. Il n´y a
guère d´exceptions à cette règle (34). Plusieurs raisons à cela :
? Il ne s´agit pas seulement d´engager le Duc ou son gouvernement, mais la Nation toute entière
(35);
? Toutes les décisions importantes, dans le Duché, exigent l´accord des Etats (36) ;
? Les pays qui ont signé le Traité avec le Duc peuvent demander, par mesure de précaution,
cette approbation solennelle . Ainsi pense-t-on que l´accord conclu sera mieux respecté (37).
Dans les faits, compte tenu des précautions mises en oeuvre (notamment le fait que le
gouvernement a consulté les principaux du Duché avant, pendant et après la confection du texte),
il n´y a pas de débat à proprement parler : les « lettres sont vues et lues » (38). C´est au Chancelier
qu´incombe la lecture publique du texte, ce qu´il fait à haute et intelligible voix (39). Un membre
des Etats (un prélat, souvent), prend la parole pour exprimer l´approbation de ceux-ci. Tout cela
est consigné par écrit. Il arrive que les Etats « baillent » - c´est-à-dire délivrent - des « lettres »
destinées à confirmer la décision prise ; un exemplaire est adressé au pays qui a contracté avec la
Bretagne . La terminologie est explicite, ici encore, afin qu´il n´y ait aucun doute quant à la claire
volonté exprimée par les députés. Ainsi pour le traité de Senlis : les Etats « confirment, louent,
ratifient, consentent et approuvent, etc. » (40).
- - Les autres garanties.(41)
Dans les cas importants, d´autres garanties sont encore prises ou
exigées : serment du Duc, de ses Conseillers, de ses proches, etc. Le serment peut être prêté sur les
évangiles, la croix, l´image du Christ, les reliques des Saints ... On précise parfois que les
personnes qui ont prêté serment ont « manuellement touché » ces objets ou symboles religieux
(42), ou les noms et qualités des témoins. Il peut se produire que l´on exige encore l´approbation
de certains nobles et prélats, nommément désignés, de certaines villes ...
Dans la période qui
nous préoccupe, les formes sont souvent lourdes, principalement lorsque les traités sont conclus
avec la France, en raison de la haine qui oppose les deux pays, et du caractère soupçonneux du roi
Louis XI (43), qui ne fait confiance à personne, encore moins aux Bretons, qu´il déteste (44).
L´exposé ci-dessus peut paraÎtre technique. On peut se demander si la connaissance de ce qui précède
est utile pour savoir ce qui s´est réellement passé en Bretagne en 1532, en particulier à Vannes au
mois d´août de cette même année.
Cette introduction, qui représente une véritable théorie des traités, selon le droit breton et des
principes généraux du Droit, tels qu´ils sont appliqués dans un certain nombre de pays évolués -, est
non seulement utile, mais indispensable.
- La manière dont s´élaborent, se discutent, se négocient, puis se ratifient les traités en Bretagne
au XV ème siècle et au début du XVI ème siècle, est à l´image de tout le fonctionnement des
Institutions bretonnes. L´intervention successive ou simultanée de toutes les Institutions cardinales
de la Principauté (le Duc, le Chancelier, les Conseillers, les Etats), la multiplicité des démarches
entreprises, les précautions de toutes natures, la surveillance exercée par tout ce que le Duché
compte d´important avant que la décision soit prise et confirmée, démontrent que l´on se trouve en
présence d´une « mécanique » bien huilée, parvenue à un haut degré de perfection.
Certes, la
démocratie, au sens ou nous l´entendons, n´existe pas : il n´y a pas de suffrage universel en
Bretagne ni dans aucun pays de monde - ; ce sont les plus puissants qui gouvernent. Du moins,
les Institutions se sont modelées au fil des siècles pour que le gouvernement du Pays soit conduit
avec prudence. La légitimité du pouvoir à cette époque n´est, ni de près, ni de loin, celle
d´aujourd´hui. Pour l´époque, le gouvernement de la Bretagne est exemplaire, en ce que, dans
l´ordre juridique, aucune décision importante n´est prise sans que la Nation, représentée par les
Etats, n´y soit associée.
C´est l´inverse de ce qui se passe en France, ou le pouvoir, depuis Louis
XI, est concentré dans les mains d´un seul homme, le Roi, qui symbolise à lui seul le royaume, et
dont l´arbitraire peut conduire à des décisions désastreuses pour ses sujets (45). La Bretagne dès
cette époque, est une authentique monarchie constitutionnelle, comme le soulignent Dupuy et
Planiol, analyse que nous partageons entièrement, car elle est exacte (46) : le Duché possède un
droit public, qui est toujours respecté, et qui protège le pays tout entier. Bien loin d´être un pays
arriéré, peuplé d´êtres incultes, auxquels la « Réunion » aurait apporté la lumière de la Civilisation
- ce qui a été la thèse de la France jusqu´en plein XX ième siècle, ce dont j´apporte témoignage,
puisque cela m´a été enseigné dans mon enfance, au sein de l´école de la « République » -, la
Bretagne, au point de vue institutionnel, est largement en avance sur son temps. Je partage
entièrement l´opinion de l´immense juriste Planiol, qui écrit cette phrase terrible mais nécessaire :
« Ce système contenait en germe toutes les libertés publiques, qui s´y développaient peu à peu,
d´une manière naturelle. C´est la main brutale de la royauté française qui a tout détruit. La
Bretagne, qui a eu le bonheur de conserver longtemps son Indépendance, a eu, par contre-coup, le
malheur d´être annexée à la France au moment ou sa royauté prenait, décidément, l´allure d´un
gouvernement despotique » (47).
- - Par ailleurs, il est évident qu´il est, au sens strict, impossible de savoir si la Bretagne et la France
ont conclu un traité en 1532, si l´on ne connaît pas, dans le détail et d´une manière parfaite, ce
qu´est un traité international à cette époque, comment il se conclut, et quelles sont les conditions -
de fond et de forme - qu´il doit remplir, pour être considéré comme valide.
Si ces conditions ont
été respectées, le traité est juridiquement efficace ; si elles ne l´ont pas été, le traité est nul, voire
juridiquement inexistant, lorsque les violations des règles imposées par le Droit sont graves et
multiples.
En dehors de d´Argentré et de Planiol, juristes éminents, qui n´ont pu traiter le problème en détail,
mais qui l´ont parfaitement exposé et compris (49), aucun historien breton n´a voulu, ou n´a pu se
livrer à une analyse en profondeur de ce qui s´est réellement passé entre la Bretagne et la France (50).
De telle sorte que, depuis cinq siècles, on répète, dans tous les ouvrages (excepté dans ceux des deux
auteurs précités et dans nos propres articles), les mÊmes sottises : savoir que, en 1532, la Bretagne et
la France se sont unies de légitime mariage s´il est permis d´ironiser sur ce qui ne fut pas une
union, mais une infamie -, « l´Union » ayant, de surcroît, été « humblement sollicitée » par les
Bretons !
Nous ne traitons ici, rappelons le, que des graves violations de forme dont se rendit coupable la
France, en 1532, avec les quelques complices achetés par elle. C´est ce que nous allons développer
maintenant (51).
Paris, le 1er novembre 2007
Docteur Louis MELENNEC
docteur en droit et en médecine
.