DEFINITIONS
La définition de l´incapacité physiologique perma-
nente (IPP) ou incapacité fonctionnelle (que l´on
pourrait tout aussi bien, au demeurant, appeler
« handicap personnel », par opposition au « handi-
cap professionnel ») a été confuse jusqu´à une
époque très récente. En France, deux étapes
importantes ont marqué l´émancipation du concept
la définition officielle qu´en a donnée la Chancellerie
en 1972, en diffusant auprès des Tribunaux de
Grande Instance une mission-type d´expertise des-
tinée à évaluer les séquelles résultant des coups
et blessures volontaires ou involontaires ; les tra-
vaux dont nous avons donné lecture au Congrès
de Djerba en 1978.
Jusqu´alors, la confusion la plus totale régnait
dans ce domaine. Les théoriciens - fort peu
nombreux, il est vrai - les experts, les magistrats,
les assureurs, les organismes sociaux, confondaient
pêle-mêle (et commettaient à ce titre des erreurs
grossières) trois concepts que nous avons, une fois
pour toutes, séparés : l´incapacité physique ou
fonctionnelle, l´incapacité de travail ou incapacité
professionnelle, l´incapacité de gains.
L´incapacité physiologique permanente (ou IPP,
ou incapacité fonctionnelle, ou handicap personnel)
se définit très simplement comme l´atteinte d´une
ou de plusieurs fonctions organiques intellectuelles
ou psychiques, avec son corollaire, la diminution
partielle ou totale des performances de l´individu
dans le domaine physique, intellectuel, ou mental
(comprendre, penser, juger, concevoir, agir, com-
muniquer, se déplacer, se servir de ses mains...).
Il peut s´agir, par exemple
Comme on le voit, cette définition exclut d´une
manière péremptoire toute référence aux répercus-
sions professionnelles que ces atteintes peuvent ou
non comporter. S´il y a incapacité de travail
consécutive à l´atteinte des fonctions sus-définies,
cet élément est strictement indifférent pour définir
et quantifier l´incapacité physiologique elle-même
l´incapacité de travail (éventuelle) est un élément
distinct de l´incapacité physiologique et doit donner
lieu, dans un second temps, à une analyse et à
une quantification séparées. Nous reviendrons sur
cet important chapitre plus loin. Aussi paradoxal
que cela puisse paraî;tre, le médecin expert, au
moment, où il évalue le taux d´incapacité physio-
logique n´a, à la limite, aucun besoin de connaî;tre
la profession qu´exerce - ou qu´exerçait - le
patient
Note 1.
ÉVALUATION QUANTITATIVE
:
DÉTERMINATION DU TAUX D´INCAPACITÉ.
LOIS DE LA BARÉMOLOGIE
L´incapacité physiologique permanente s´exprime
au moyen d´un pourcentage : 5, 10, 15 pour 100,...
ce qui signifie, en clair, que le patient affecté d´un
tel taux a perdu 5, 10, 15 pour cent, de ses
capacités physiologiques ou, si l´on veut, de sa
personne.
Pour évaluer ce taux, l´expert se sert d´un barème,
échelle graduée de référence contenant, par ordre
de gravité croissante, la liste des lésions types le
plus fréquemment rencontrées.
Ainsi :
Les règles de calcul des taux d´incapacité physiologique ont été codifiées à une époque
très récente,
à partir de nos travaux personnels, qui sont à
l´heure actuelle très généralement admis
[Communication sur le prétendu taux
d´incapacité permanente totale (Djerba, 1978) ; Lois de la barémologie
(Gazette du Palais) ; Publication du Barème Inter-
national des Invalidités Post-traumatiques (Masson,
1983)].
Ces règles - ou lois - de la barémologie, que
nous rappellerons ici, tiennent en quelques principes
simples.
Première loi
Lorsqu´il s´agit d´évaluer une incapacité physiologique, il ne peut être fait usage du prétendu taux de 100 pour 100, même pour les infirmités très graves : ce taux n´existe pas ; i1 correspond à la mort. Les barèmes physiologiques doivent donc être entièrement reconstruits selon une échelle nouvelle, allant de l´infirmité la plus bénigne (1 pour 100) à la plus grave (99 pour 100).
Jusqu´en 1978, tous les systèmes d´évaluation des taux d´incapacité - en France et partout ailleurs - reposaient sur un concept incontournable, qui remplissait, en quelque sorte, la même fonction que la clef de voûte en architecture : l´invalidité dite totale, laquelle se traduisait, sur le plan quantitatif, par l´attribution du fameux taux de 100 pour 100. Selon ce système, était considéré comme « Invalide total » - donc affecté d´un taux de 100 pour 100 - tout handicapé présentant une infirmité grave ou très grave. Pour ne citer que les principales : la perte de la vue, l´amputation des deux membres inférieurs ou des deux mains, la démence, la paraplégie, la tétraplégie, etc.
Les inconvénients de l´utilisation de ce concept étaient majeurs, et depuis plusieurs décennies, faisaient l´objet de litanies lancinantes, dans les congrès de médecine légale et ailleurs, sans que personne proposât la moindre solution. De fait, ce concept était non seulement aberrant. mais nocif :
Des solutions diverses avaient été proposées, mais aucune ne résolvait le moindre problème.
C´est au Congrès International de Djerba, en
octobre 1978, que nous limes voler en éclats cet
aberrant concept. Notre raisonnement, d´une sim-
plicité extrême, fut le suivant
Lorsqu´on attribue à un patient un taux de 97
pour 100, c´est qu´il a perdu 97 pour 100 de sa
personne et qu´il lui reste, par voie de conséquence,
3 pour 100 de capacités physiologiques.
Lorsqu´on lui attribue un taux d´incapacité de
98 pour 100, il lui reste encore deux points de
capacités physiologiques.
Lorsqu´on lui attribue un taux de 99 pour 100,
il lui reste encore 1 pour 100 de capacités restantes.
Mais que se produit-il, lorsqu´on passe du taux
de 99 pour 100 au prétendu taux de 100 pour
100 ? On se trouve, très précisément, au point où
toutes les capacités physiologiques du sujet s´anéan-
tissent, c´est-à-dire au point précis où le patient
passe de vie à trépas.
Nous allons voir que cette loi, combinée à la
suivante, a introduit dans le mode de calcul des
taux d´invalidité, non pas une innovation, mais
une véritable révolution.
Deuxième loi
Théorie des capacités restantes
Sous peine d´aboutir à des erreurs graves, tout
expert doit, pour évaluer un taux d´incapacité
physiologique permanente, se livrer à un double
calcul : il doit confronter obligatoirement et néces-
sairement le taux d´incapacité qu´il entend retenir,
et le taux des capacités restantes : l´individu « valant »
100 points de capacité physiologique, la somme des
capacités perdues (exprimées par le taux d´incapacité
proprement dit), et des capacités restantes est égal
à l´individu entier :
Les deux lois ci-dessus ont permis à l´équipe dont
nous avons dirigé les travaux, de 1978 à 1982, équipe
à laquelle ont participé des Membres de l´Académie
nationale de médecine, des Membres de l´Académie
de chirurgie, des Professeurs des Facultés de médecine,
des médecins chefs de service des hôpitaux, d´élaborer
un barème, sans exemple dans le monde, tenant
compte de ce diptyque « capacités perdues - capacités
restantes », et dont les chiffres n´ont absolument rien
de commun avec tout ce qui avait été fait jusqu´alors.
Ce barème, si l´on en croit sa diffusion immédiate
(publié par les éditions Masson en 1983, il était épuisé
en 1984) a suscité un intérêt très grand dans les
milieux expertaux, et est utilisé quotidiennement par
la plupart des experts français actuellement en exercice.
Cas particuliers où il existe un état antérieur.
Lorsque, au moment de l´évaluation du préjudice.
il existe un état antérieur (du fait d´un ou de
plusieurs traumatismes, d´une ou de plusieurs mala-
dies, séquelles chirurgicales, etc.), l´évaluation ci-
dessus est modifiée comme suit :
Dans cette hypothèse - au demeurant très difficilement soluble à l´heure actuelle en raison, notamment, de la mauvaise coopération des patients, de leur méconnaissance partielle ou totale de leur état antérieur, du secret médical, etc. - l´expert doit se livrer à un triple calcul : il doit évaluer le taux d´incapacité antérieur, le taux des capacités restantes, le taux d´incapacité justifié par les séquelles traumatiques ou l´affection expertisée.
>La justification théorique de ce mode de calcul est la suivante. Même si tous les être vivants, sur le plan théorique comme sur le plan pratique, sont égaux en dignité humaine, ils ne le sont absolument pas en valeur physiologique : les uns sont forts, les autres sont faibles ; les uns sont intelligents, les autres ne le sont pas ; les uns sont volontaires, les autres vélléitaires , les uns sont actifs, les autres sont passifs, etc.
Le débiteur qui a la charge du montant des dommages et intérêts a le droit fondamental de demander qu´il soit tenu compte de cette inégalité de fait des individus entre eux ; si notamment, on négligeait de tenir compte des capacités physiolo- giquement antérieurement diminuées, cela léserait gravement les intérêts légitimes des débiteurs d´une manière parfaitement contraire au droit. Loysel et les anciens jurisconsultes avaient, depuis plusieurs siècles, énoncé ce principe de droit élémentaire sous la forme suivante : un verre de cristal que l´on brise doit être indemnisé à sa juste valeur ; mais si ce verre est déjà ébréché, l´ébréchure ne serait-elle pas visible, il doit être indemnisé sur une base très nettement inférieure.
11 en va de même dans notre matière : un.patient déjà physiologiquement diminué lorsque survient le fait générateur d´incapacité, ne saurait en aucun cas être assimilé à un individu bien portant : sa « valeur » physiologique est déjà diminuée, il doit donc être tenu compte de ce paramètre dans le calcul de l´indemnisation. C´est ce à quoi répond le schéma et le mode de calcul indiqués ci-dessus.
Soulignons au demeurant qu´il ne s´agit pas là
d´une vue de l´esprit : la mission diffusée par la
Chancellerie en 1972, encore très largement utilisée
par les Tribunaux de Grande Instance et les Cours
d´Appel, fait une stricte application de ce principe,
qui fait donc partie du droit positif français.
Troisième loi
Hiérarchisation stricte des incapacités
selon leur gravité réelle
Cette troisième loi n´est qu´un des aspects de la précédente :
Pour être valable et adéquat, un barème physio logique doit classer les infirmités selon leur gravité réelle ; des infirmités de gravité similaire doivent être affectées de taux d´incapacités identiques ; inver- sement, des infirmités de gravité différente doivent être affèctées de coefficients d´incapacité différents.
Cette loi, pensera-t-on, est une lapalissade. C´en est une assurément, mais dont la formulation répond à une impérieuse nécessité. Que l´on y réfléchisse aucun des barèmes confectionnés en France et dans les autres pays avant la publication du Barème International n´en a tenu compte. Le dernier en date - hélas appliqué quotidiennement dans le cadre des Caisses de Sécurité Sociale -, le Barème des Accidents du Travail, publié en décembre 1982, a continué à assimiler pêle-mêle dans la même catégorie du prétendu taux de 100 pour 100 tous les infirmes graves : ce qui revient à dire que sont indemnisés de la même manière l´amputé des deux pieds, l´amputé des deux jambes, l´amputé des deux membres inférieurs, l´am- puté des quatre membres, le tétraplégique aveugle, sourd et dément, etc. Ce qui suffit, sans reprendre en détail l´analyse critique que nous en avons faite en 1983 dans la Gazette du Palais, à le priver irrémédiablement de toute fiabilité et de tout crédit.
Nous nous sommes bien gardé, quant à nous, de
tomber dans le même piège : le Barème International
d´Invalidité est le premier qui, à notre connaissance,
ne commet pas cette erreur : les infirmités y sont
classées par ordre de gravité croissante, et les taux
d´incapacité retenus sont d´autant plus élevés que les
infirmités sont plus graves, et inversement.
Quatrième loi
:
Indépendance stricte
de l´incapacité physiologique
et de l´incapacité de travail
Pour la même raison que-ci-dessus, savoir que des erreurs grossières continuent encore à se commettre quotidiennement tant en Droit social qu´en Droit commun, alors même que l´analyse doctrinale a clarifié le concept d´incapacité depuis plus de dix ans, ce principe, que nous avons inclus plus haut dans la définition même de l´incapacité physiologique permanente, doit être rappelé avec force et solennité :
Il n´existe aucune proportionnalité, aucun paral- lélisme entre le taux de l´incapacité physiologique (handicap personnel) et l´incapacité professionnelle ou de travail : les deux concepts sont fondamenta- lement distincts et doivent donner lieu à une analyse et à une quantification séparées.
Nous reviendrons sur ce point plus loin : disons simplement ici que le pianiste ou le violoniste de concert, qui perdent l´index, sont affectés d´une très faible incapacité physiologique (IPP : 8 pour 100), mais que leur incapacité de travail est totale (du moins jusqu´à ce qu´ils se donnent les moyens de se reclasser ailleurs) ; à l´inverse, le banquier qui devient paraplégique est affecté d´une très forte incapacité physiologique (75 pour 100) mais peut, s´il en a la volonté, continuer son travail dans les mêmes conditions d´efficience qu´aupara- vant : son incapacité de travail est nulle.
Il est donc strictement hors de question, comme
on le fait encore quotidiennement encore en France
dans le régime des Accidents du Travail, de calculer
d´abord le taux d´incapacité physiologique (perte
de l´index : 8 pour 100, et ensuite de fabriquer
une « rallonge » dite « coefficient professionnel »
(sic), et d´additionner les deux chiffres : ce faisant,
on reste, bien sûr, totalement à côté du problème.
Il convient donc, dans le régime des Accidents du
Travail, de calculer directement le taux de réduction
de la capacité de travail (ou comme on le disait
autrefois, le taux de l´incapacité ouvrière, formule
désuète, mais très explicite), et d´en tirer les
conséquences sur le plan de l´indemnisation : quelle
belle réforme à mettre en eeuvre pour le Ministre
des Affaires Sociales !
D´autres exemples montrent que des handicaps physiquement très graves peuvent laisser l´efficience professionnelle totale, voire même l´accroî;tre. Un président des États-Unis était quasiment impotent des membres inférieurs ; nous avons connu un psychiatre paraplégique, un médecin conseil amputé des deux membres inférieurs, un médecin expert (qui a exercé jusqu´à 80 ans passés) diabétique et aveugle, un président de syndicat tétraplégique. La plupart des aveugles de naissance exercent désormais une profes- sion dans des conditions normales.
Beethoven était sourd, Schumann et Van Gogh étaient fous ; et il est à la connaissance de tous que les génies, si productifs dans l´activité qui est la leur, sont, au minimum, de grands névropathes : Baudelaire. Verlaine, Victor Hugo...
Il faut donc, une fois pour toutes, cesser de dire,
d´écrire, de décider « Untel présente une incapacité
médicale de 60, 70 pour 100 ; il est donc inapte à
tout travail ». Si cela était vrai, Roosewelt aurait été
écarté de la présidence des États-Unis, Beethoven de
son piano, Van Gogh de son chevalet...
CLASSIFICATION UNIVERSELLE
DES HANDICAPS ET DES INCAPACITÉS
PHYSIOLOGIQUES
Elle est donnée par le tableau ci-après :
1° TROUBLES LÉGERS
(GROUPE 1)
Taux d´IPP (déficit physiologique) :
Capacités physiologiques restantes :
CRITÈRES
2° TROUBLES MODÉRÉS
(GROUPE 2)
Taux d´IPP (déficit physiologique) :
Capacités physiologiques restantes :
CRITÈRES
3° TROUBLES MOYENS
(GROUPE 3)
Taux d´IPP (déficit physiologique) :
Capacités physiologiques restantes :
CRITÈRES
4° TROUBLES IMPORTANTS
(GROUPE 4)
Taux d´IPP (déficit physiologique) :
Capacités physiologiques restantes :
CRITÈRES
5° TROUBLES TRES IMPORTANTS
(GROUPE 5)
Taux d´IPP (déficit physiologique) :
Capacités physiologiques restantes :
CRITÈRES
Dans la pratique, il agira différemment : la profession exercée fournit des renseignements précieux, particulièrement éclairants sur les capacités - notamment psychiques - du sujet.