I - PREMIERE QUESTION.
Avez vous fait des études de psychiatrie? Si oui, avez vous exercé cette discipline, enseigné, publié des articles ou des livres? Quels ont été vos Maîtres? Ou trouver vos publications, le cas échéant?
J'ai eu la révélation de la psychanalyse, banalement, vers 15 ans, par la revue "Science et vie".
Durant mes études de médecine, à Nantes (de 1959 à 1966), j'ai effectué "mon" stage de psychiatrie dans le service du docteur Ganry, et ai fréquenté les cours du docteur Corman, l'un des auteurs fameux des ouvrages sur la morphopsychologie (description du caractère d'après les traits du visage; la "cormancie", d'après ses détracteurs).
J'ai suivi avec passion, comme des centaines d'étudiants, les conférences de psychiatrie du Professeur Jean Tusques (voir le site), orateur remarquable et caustique, qui parvenait à faire rire aux larmes avec des histoires de fous, qui sont loin d'être toujours tristes.
A 23 ans, j'ai eu la chance d'être présenté au psychanalyste Angelo HESNARD, médecin général, l' "inventeur" de la psychanalyse en France, auteur du premier ouvrage français sur les idées de Freud (La psycho-analyse des névroses et des psychoses, publié en 1923, réédité en 1929), ex - Président de la Société Française de Psychanalyse, alors au sommet de sa notoriété.
L'engouement pour cette discipline est tel, à cette époque, et exerce une telle fascination sur la société, que je commence une analyse didactique en 1964; l'expérience prend fin en 1966.
Plus tard, en 1977 (j'ai alors 36 ans), je m'inscris au certificat d'études spéciales de psychiatrie, chez le Professeur Bourguignon. J'effectue plusieurs stages cliniques dans les services du docteur Grivois (hôtel-dieu de Paris), et du docteur Choubrac (hôpital Laennec).
La multiplicité de mes activités ne me permet pas de terminer cette spécialité. D'ailleurs, j'ai largement fait le tour de la question, au cours des vingt années écoulées.
J'ai donné peu de soins en psychiatrie, l'exercice de la profession m'ayant paru monotone et répétitif. En revanche, j'ai donné des conférences de psychiatrie médico-légale au cours de mes différents enseignements.
J'ai surtout, dans le cadre de mes activités d'expert depuis 1970, effectué des milliers d'expertises psychiatriques, tant à la demande des tribunaux que des rapports devant la Cour nationale de l'Incapacité (alors dénommée CNT), dont j'ai été le principal rapporteur de 1984 à 1992., principalement dans le cadre de la pathologie des névroses, traumatiques ou non.
Mes publications psychiatriques sont essentiellement consacrées aux névroses post traumatiques. Le Barême International des Invalidités, rédigé sous ma direction de 1978 à 1982 (Masson, Paris, 1983), contient un chapitre, consacré à l'évaluation des affections psychiatriques post traumatiques (Mélennec, Loo, Ropert). Ce travail a été repris et élargi à toutes les affections psychiatriques - traumatiques, acquises, congénitales -, dans l'ouvrage sur l'évaluation du handicap, publié chez Masson (ce chapitre est aussi publié sur Internet: voir bulletin de psychiatrie du 23 janvier 1998, Dr Fineltain).
En 1975, j'ai quelques contacts avec LACAN, dont je ne parlerai pas, n'ayant aucun bien à en dire: reportez vous plutôt au livre que lui a consacré Gérard Haddad ( Le jour ou Lacan m'a adopté; Grasset, Paris, 2002).
II - DEUXIEME QUESTION.
Qu'appelle-t-on "PARANOIA"?. Les paranoiaques sont-ils dangereux? Sont-ils accessibles à la thérapeutiques?
La documentation sur cette affection psychiatrique très sérieuse ne manque pas sur internet.
le mot paranoia signifie: "je pense à côté".
Le sujet qui est atteint de cette maladie perçoit la réalité, il n'est nullement inconscient; mais il déforme systématiquement cette réalité, d'une manière pathologique, jusqu'à la transformer d'une manière délirante, ce qui peut conduire à des actes graves.
Je reproduis ici les définitions de Thérèse Lemperière, qui sont excellentes (Psychiatrie de l'adulte, Masson, Paris, ouvrage périodiquement réédité).
Il faut distinguer deux réalités différentes.
1 - LA PERSONNALITE PARANOIAQUE. Cette forme de personnalité pathologique est caractérisée par un mode de comportement, un style de conduite comportant des déviations quantitatives par rapport à la personnalité dite normale.
Le sujet n'est pas à proprement parler un "malade", mais son comportement sort manifestement de la norme statistique, d'une manière plus ou moins marquée.
La personnalité paranoiaque est caractérisée par:
- la surestimation de soi, qui se manifeste par la suffisance, l'orgueil; juge sévère pour autrui, méprisant, redresseur de torts, le paranoiaque n'a lui même jamais tort; infaillible, il ne peut remettre ses opinions en question, s'obstine à faire triompher envers et contre tout (et tous) sa propre vision des choses; ce qui n'empêche que, pour parvenir à ses fins, il peut être capable de feindre une fausse modestie, une sympathie apparente pour des personnes qu'il n'aime pas, à seule fin d'en extraire ce qu'il veut, ET DE LES MANIPULER, ce qu'il parvient parfois à faire, en choisissant ses "alliés", qui ne se doutent pas qu'on leur fait jouer un rôle, malgré eux;
- l'absence d'autocritique et la fausseté du jugement; elles peuvent être considérées comme une conséquence de l'autophilie, de l'hypertrophie du moi;
- la psychorigidité des actes et des jugements;
- l'autoritarisme et l'intolérance envers les autres;
- la méfiance et la susceptibilité; des faits anodins prennent pour l'intéressé une signification personnelle, et sont censés le viser, lui, personnellement: on lui en veut, on le "cherche", on veut lui nuire, etc.
Ceci explique les difficultés d'insertion sociale de ces individus, et leurs difficultés relationnelles. Leur existence est marquée par des conflits permanents, inutiles et vains, sans fondement, qu'ils provoquent eux mêmes, mais dont ils. imputent la responsabilité aux autres. Ces personnages égocentriques, agressifs, jaloux, sont difficilement supportables, et difficilement supportés. On les fuit. Si elles parviennent à occuper des fonctions de responsabilité, on essaie de les "placardiser", de leur ôter leurs responsabilités; dans le cas contraire, pour leur famille, leurs collaborateurs, c'est un calvaire.
2 - LE DELIRE PARANOIAQUE SYSTEMATISE.
La personnalité paranoiaque peut rester indéfiniment "compensée". Le sujet continue à vivre, avec les traits caractéristiques ci-dessus, qui se maintiennent, ou plutôt s'aggravent avec le temps, sans toutefois dégénérer en un délire systématisé, de telle sorte que le sujet échappe à la psychiatrie et à l'hospitalisation, continuant à empoisonner la vie des autres....... , isolément ou cumulativement. Et la sienne propre, car sa manière d'être est source d'un inconfort extrême, d'autant qu'elle est envahie par tous les contentieux provoqués par l'intéressé lui même, et par les agressions qu'il reçoit en retour, de la part de ceux qu'il agresse sans raison, et qui se défendent.
Pour s'exprimer simplement, la maladie est cararctérisée par une exacerbation de tous les traits pathologiques ci dessus.
Mais de surcroît, apparaissent d'authentiques idées délirantes. Le sujet ne se contente plus d'avoir une perception subjective et déformée de la réalité (par exemple: " on m'en veut, on ne m'aime pas, on dit du mal de moi "....). Son psychisme élabore et construit, sur le mode fantasmatique, un édifice paralogique, une série de para-raisonnements, en apparence cohérents pour son psychisme malade, mais totalement sécrétés d'un manière pathologique, sans aucun rapport avec la réalité raisonnable.
Cela nous mènerait trop loin d'entrer dans l'univers du paranoiaque, qui a donné lieu à des biliothèques immenses d'articles, d'écrits, de traités, etc. Cependant, certains faits sont connus du public, et c'est sur ce terrain que nous resterons pour nous faire comprendre.
Les thèmes délirants les plus connus sont les thèmes de persécution et d'influence.
Citons encore Thérèse LEMPERIERE:
- LES IDEES DELIRANTES DE PERSECUTION. Le sujet a la conviction ABSOLUE qu'on a l'intention de lui nuire, de lui faire du mal, soit dans sa personne physique, soit dans sa personne morale, soit dans sa réputation, soit dans son travail, soit dans ses biens et son patrimoine .... Ses ennemis, croit-il d'une manière INEBRANLABLE, utilisent pour lui nuire une batterie de moyens, isolément, ou plutôt cumulativement: on l'épie, on le surveille, on le guette ....; on met des espions ou des "corbeaux" sur son passage; on transmet des rapports sur lui; on le prend en filature; on écoute ce qu'il dit, et même ce qu'il pense (!); sur son passage, on profère des calomnies, des médisances, des propos obscènes ...; ses "ennemis" sont armés de toutes sortes de moyens pour mener à bien leurs entreprises : ils utilisent des micros, des postes de radio, des rayons laser, des ondes hertziennes, des rayons de toute nature, des radiations atomiques , des appareils greffés dans son cerveau pour capter leurs pensées, ou y injecter toutes sortes de cochonneries ...... Il n'est pas d'inventions étranges que ne sécrète le psychisme de ces malades, tant peut être fertile leur créativité pathologique. Dans un cas expertisé par moi, une dame me raconta que son voisin du dessus, armé d'une scie "magnétique et invisible" (ce qui expliquait qu'elle ne laissait pas de traces), découpait chaque nuit une rondelle du plafond, créant un orifice par lequel il injectait dans son appartement des gaz anesthésiants et vomitifs .... Sachant que toute dénégation est inutile pour ces malades, et que je ne la reverrai pas, je lui ai dit, avec le plus grand sang froid, qu'elle aurait un excellente idée en s'adressant à un chantier métallurgique, pour qu'on lui installe ..... un plafond en fer! Je ne connais pas la suite; les neuroleptiques ont peut être fait disparaître la scie magnétique et invisible, en même temps que les gaz mortifères.
- LES THEMES DE GRANDEUR. Les patients expriment des idées hypertrophiant leur "moi", d'une manière ici aussi très variée: ils sont riches, d'une manière incommensurable; ils ont des propriétés, des industries, des châteaux, une vaste domesticité; ils ont réalisé des découvertes exceptionnelles; ils ont une mission mondiale à accomplir; par exemple, ils vont sauver l'humanité, car leur nature est divine, ils sont en rapport avec des forces extra terrestres; ils doivent annoncer à l'univers la religion universelle, etc. Tout ceci asséné, souvent, d'une manière péremptoire, ne supportant ni ne supposant pas la contradiction. D'ou leurs initiatives variées, leurs interventions auprès des ministres, des gouvernants, des puissants du jour ... Avec des résultats divers, pas toujours marqué par l'échec (dans l'histoire du monde, quelques uns de ces personnages ont réalisés de brillantes "carrières", comme chefs de sectes, chefs d'Etats, prophètes, etc. Aujourd'hui, nombre d'entre eux sont ramenés à une vie plus ordinaire par la prise régulière de neuroleptiques - qui sont souvent efficaces -, avec des séjours plus ou moins répétés en milieu psychiatrique.
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III - LES QUERULENTS PROCESSIFS.
Cette variété de paranoiaques a été décrite par les psychiatres SERIEUX et CAPGRAS (voir ces noms au moyen des moteurs de recherche).
Les traits de la personnalité, tels que décrits ci-dessus, sont évidemment présents: hypertrophie du moi, rigidité psychique, conviction absolue d'avoir raison en tout, incapacité absolue, par quelque raisonnement que ce soit, de leur démontrer qu'ils ont tort, méfiance pathologique, tendance à dissimuler pour parvenir à leurs fins, etc.
Le délire prend ici une forme particulière: environnés d'ennemis (croient-ils, ce n'est pas toujours faux, tant leur comportement est insupportable pour tous), ils voient des complots contre leur personne, des intentions malveillantes, des manoeuvres destinées à leur nuire, à détruire leur carrière à salir leur réputation, etc.
Convaincus - de plus ou moins bonne foi - de leur bon droit , ils intentent non pas UN procès, mais DES procès à répétition. De natures variées: on les a diffamés, on a manqué à ce qu'ils disent être leur honneur, on a porté atteinte à leurs droits de propriété, on a prononcé à leur encontre des propos qu'ils jugent malveillants.... : procès, procès, procès ....
La disproportion entre la cause prétendue et les faits peut être absurde, ridicule. Aucun raisonnement ne peut les convaincre qu'ils ont tort.
Leurs avocats essaient de les dissuader d'aller en justice, ou même de plaider: ils en prennent d'autres, et continuent.
Cela peut aller très loin. on connaît certains de ces patients qui gèrent SIMULTANEMENT - lorsqu'ils en ont les moyens, ou qu'ils se sont organisés pour que leurs actions judiciaires soient prise en charge par des tiers, des associations, des compagnies d'assurances - PLUSIEURS DIZAINES DE PROCES.
L'agressivité pathologique dont ils font preuve, et ces procès à répétition, sans raison raisonnable, expliquent l'appellation retenue par les psychiatres pour les désigner.
Dans les cas les plus graves, s'ils sont intelligents et habiles - ils le sont parfois -, ils s'épuisent en manoeuvres de toutes sortes pour rendre crédibles leurs revendications: fabrication de pièces, falsification des dossiers, des signatures ...
Il arrive qu'ils parviennent à convaincre leur entourage, constitué à dessein, au fil des années, selon des affinités pathologiques avec des sujets vulnérables ou inconsciemment fragiles, de se joindre à eux, et de soutenir leurs revendications maladives.
Ils forment alors avec ceux qui les suivent, un couple pathologique, qui délire pendant des années, causant des dégâts qui peuvent être considérables, jusqu'à ce que la situation cesse.
Les psychiatres ont signalé des issues singulières: dans plusieurs hypothèses, connus des parquets, qui refusent de les suivre, ils peuvent passer aux actes, par des coups volontaires, et même des crimes, pour se faire justice eux mêmes, ce qui leur semble logique, puisque les tribunaux refusent de leur donner raison (Thérèse LEMPERIERE, ouvrage cité).
Je pense avoir satisfait d'une manière suffisante votre curiosité.
L'univers paranoiaque est illimité.
On peut y passer sa vie. J'ai examiné mon premier malade paranoiaque, dans le service de psychiatrie fermé du docteur GANRY, en 1961.
Cet homme était poursuivi .... par des gaz ! Cela n'arrêtait jamais. il y en avait de toutes sortes: des petits, des gros, des ronds, des carrés, des courts, des longs. Certains étaient verts, d'autres rouges, d'autres incolores, d'autres bleus ... Certains se faufilaient par le plafond, d'autres par le plancher, d'autres par les murs, d'autres par le trou de la serrure, etc.
Docteur Louis MELENNEC