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Docteur Louis MELENNEC
Certifié d'Études spéciales
de Médecine Légale
Certifié d'Études Spéciales
de Médecine du Travail
Diplômé d'Études Médicales
Relatives i la Réparation
du Dommage Corporel
Licencié en Droit
Diplômé d'Études Supérieures
de Droit Public
Diplômé d'Études Supédeures
de Droit Privé
Diplômé d'Études Supérieures
de Sciences Criminelles
Ancien Chargé de Cours
à la Faculté de Médecine
Ancien Chargé d'Enseignement
des Facultés de Droit
PARIS, le 17 novembre 1997
Monsieur Jacques PELLETIER 53 Avenue d'Iéna
75116 PARIS
Médiateur de la République Française
Mon Cher Jacques,
J'ai bien reçu ta lettre du 31 octobre 1997, me faisant connaître
tes appréciations sur l'émission radiophonique de Claude REICHMAN
consacrée à la Médiature de la République et à ma
candidature aux fonctions de Médiateur.
J'y ai relevé des imprécisions et des inexactitudes dont
je vais te faire part avec ma franchise habituelle.
1°) Tu ne pouvais, en effet, ignorer ma candidature à ta succession,
puisque je te l'avais annoncée par lettre manuscrite du 8 avril 1997,
tout comme je l'avais fait quelque temps auparavant à M. Paul LEGATTE,
Médiateur Honoraire.
M. LEGATTE m'avait reçu très longuement, avec l'exquise courtoisie
dont il est coutumier. J'ai regretté que tu n'aies pas jugé utile,
toi aussi, de me prodiguer tes conseils, ce qui eût été assez
normal, puisque j'appartiens à ton équipe depuis près
de six ans, et que nous nous connaissons depuis trente ans.
2°) Il est exact que j'ai rompu avec la tradition selon laquelle la nomination
du Médiateur se déroule dans le secret, que son nom n'est connu
que le jour de sa désignation, et que l'identité des candidats
est souvent ignorée.
D'une part, dans notre République, les usages ne sont pas immuables.
D'autre part, je me suis expliqué très clairement au cours de
l'émission sur le sens de ma démarche : aux États-Unis,
les candidats à de hautes responsabilités dans l'État
sont astreints à comparaître devant un jury, à exposer
ce qu'ils ont réalisé dans leur vie, ce qu'ils comptent faire
au bénéfice des citoyens et de la Cité, et de répondre
sans détour à toutes les questions qui leur sont posées.
'
Si je suis nommé Médiateur de la République, je demanderai
au gouvernement d'instaurer en France un système de cette nature, qui
ne peut qu'être bénéfique pour le pays.
En participant à l'émission de Claude REICHMAN - dont je connais
de longue date la probité intellectuelle - j'ai mis mes actes en accord
avec mes idées. C'est une question de loyauté, en aucun cas une
stratégie pour atteindre mon but (ligne 8) : pour moi, la notion de "carrière" n'a
jamais eu, n'a, et n'aura jamais aucun sens.
3°) Oui, j'ai affirmé qu'il m'apparaît souhaitable que les
Médiateurs ne soient pas trop âgés, et que leur recrutement
soit élargi à des candidats qui n'appartiennent pas au groupe
- très fermé - des hommes politiques en vue.
S'agissant de l'âge, lors de son élection à la Présidence
de la République, Valéry GISCARD d'ESTAING avait 47 ans,
Jacques CHIRAC avait 42 ans : j'ai trouvé cela très bien.
Tu as sûrement observé que j'ai précisé que
le candidat MELENNEC, âgé de 57 ans, est en voie de dépasser
la limite d'âge : ma position est honnête, donc.
A l'exception de M. LEGATTE, en effet, tous les médiateurs ont été choisis
parmi les hommes politiques en vue et les anciens ministres qui s'étaient
engagés sur le terrain. De là à me faire dire qu'ils
ont manqué de sérénité dans l'exercice de leurs
fonctions (ligne 36), il y a loin ! Pourquoi laisser entendre dans ta lettre
que j'ai pu proférer une pareille absurdité ?
4°) Même si je pense que, dans le passé, la Médiature
aurait pu parfois se montrer plus dynamique, non, absolument, non, je n'ai
dit aucun mal des médiateurs successifs.
J'ai exposé brièvement dans quelles conditions Antoine PINAY
a accédé à la Médiature et l'a quittée
au bout d'un an : cela figure dans tous les livres.
J'ai seulement cité Aimé PAQUET (1974 à 1980) et Robert
FABRE (1980 à 1986). De ceux là, je n'avais à dire
ni bien ni mal, puisque Je ne les ai pas connus, et que je n'ai pas suivi
leur action.
J'ai volontairement omis de parler de toi, pour deux raisons : si j'avais
des critiques à te faire, je ne choisirais pas la voie radiophonique,
mais la voie directe ; à l'inverse, s'il y avait matière à compliments,
je m'abstiendrais de les faire en public ; dans le contexte de ma candidature,
cela serait interprété comme un exercice de brosse à reluire
: c'est un art dans lequel les bretons n'excellent pas.
5°) Ce qui me peine le plus, c'est d'avoir laissé entendre (ligne
34) que j'ai pu manquer de respect à l'égard de M. LEGATTE,
Médiateur Honoraire. Avant de le rencontrer, j'ai connu M. LEGATTE à travers
ses travaux, notamment sa remarquable dissertation sur "Le statut
du Médiateur de la République" (Rapport au Président
de la République, 1991, pages 19 à 28), qui m'a permis de
comprendre qui il est. Dès que j'ai fait sa connaissance, j'ai été séduit
par sa courtoisie, sa sincérité, son humanité, trois
qualités rares dans un homme occupant de hautes fonctions, et qui
forcent immédiatement le respect. J'ai su que la plupart de ses
anciens collaborateurs en parlaient avec émotion. Tout cela explique
que c'est à lui, à lui le premier, et avec une profonde déférence,
que j'ai annoncé ma candidature dès le mois d'octobre 1996,
un an et demi avant l'échéance. Voilà ce que je pense
de cet homme, voilà ce qui explique l'hommage appuyé que
je lui ai rendu lors de l'émission du 28 octobre dernier.
6°) Oui, j'ai exposé une conception de l'action du Médiateur
différente de la tienne, tant il est vrai que sur ce point, nos
idées divergent d'une manière très sensible.
Un exemple vécu:
En 1995, dans le prolongement de la réforme de la sécurité sociale
annoncée par le gouvernement, j'ai remis entre tes mains un volumineux
rapport préconisant une réforme radicale de l'indemnisation
des handicapés, réforme résumant vingt cinq années
de réflexion sur le terrain.
Un problème, a dire vrai, d'importance nalionale (plusieurs millions
de handicapés), ruineux pour la collectivité (100 milliards
de dépenses annuelles) ; des iniquités abominables (indemnisation
variant de 1 à 100 pour la même infirmité !!!) ; des économies
très substantielles à attendre d'une raisonnable réforme
(15 milliards par an) (document joint).
Aucun débat, aucune discussion n'ont été mis en oeuvre
sur le sujet : en tout et pour tout, une heure d'entretien avec le Délégué Général
(le préfet VIAL) , quinze minutes avec toi, dans ton bureau.
Surpris de ne plus entendre parler de mon rapport au bout de quelques mois
- en dépit de ta promesse de le porter à la connaissance
de la Commission des affaires sociales du Sénat - je l'ai porté moi-même à la
Cour des comptes, à la Cour de cassation, au Conseil d'Etat. Le
Président de la Chambre Sociale de la Cour des comptes s'étant étonné d'une
manière itérative que la Médiature n'y donne aucune
suite, m'a invité à rendre d'urgence visite à MM.
DUTHEILLET de LAMOTHE et DURLEMAN, Conseillers sociaux du Premier Ministre
et de l'Elysée, m'assurant qu'il y avait là indiscutablement
matière pour le Président de la République à ouvrir
un nouveau grand chantier, sans perdre de temps.
Ce que je fis. Au début de l'année 1997, après concertation
entre les Conseillers de MM. JUPPE et BARROT, le principe de la désignation
d'une Commission interministérielle était acquis. La Médiature
n'a joué aucun rôle dans tout cela : je l'ai vivement regretté.
N'eussent été les élections législatives, la
première pierre allait être posée, par ma seule obstination à l'avoir
souhaité.
Ceci parait anecdotique, mais ne l'est pas : les autres Consultants se
sont souvent trouvés dans des situations identiques, nous en avons
maintes fois parlé entre nous.
Voici maintenant l'essentiel : je ne pense pas que les problèmes
doivent être évités, si difficiles soient-ils à résoudre.
Cela s'appelle la politique de l'autruche, et se termine toujours de 1a
même façon : dans le mur. De mon point de vue, il est indispensable
de faire front aux situations, d'en analyser les composantes, de prévoir à l'avance
les obstacles à lever, puis d'appliquer les thérapeutiques,
avec diplomatie certes, mais d'une manière ferme.
Ce sont ces principes que j'ai plaidés lors de l'émission
du 28 octobre ;je pense absolument être dans la vérité ;
je persiste et signe, donc.
As-tu ressenti cela comme un désaveu de ta propre action ? II y
avait sûrement de cela. Mais j'ai parlé avec une telle modération,
m'efforçant toujours d'élever le débat, qu'aucune
allusion à nos divergences, strictement aucune, n'a été portée à la
connaissance des auditeurs. D'aucuns ont loué ma réserve,
d'autres l'ont un peu regretté; Claude REICHMAN, qui a mené magistralement
l'interview, a relevé qu'il n'y a eu ni critiques ni "piques" à l'égard
de quiconque, ce que la loi du genre autorisait pourtant dans une certaine
mesure. En tout, j'ai été parfaitement maître de mon
discours, ce qui est la moindre des choses lorsqu'on est candidat aux fonctions
de Médiateur de la République.
7°) Je regrette que tu n'aies relevé dans mes propos aucun élément
positif. Il y en eut pourtant de nombreux:
- Enrichissement que la création de la Médiature a apporté à notre
paysage institutionnel; - Efficacité de l'action du Médiateur
(60 pour 100 de succès ; rapidité de la
procédure ...) ;
- Importance des résultats déjà obtenus : je n'ai
pas manqué de souligner que la Médiature est à l'origine
des lois de 1978 et 1979 sur la communication des documents administratifs
aux administrés, et de la loi de 1979 obligeant à motiver
les décisions administratives individuelles défavorables,
et que ce ne furent pas là des "réformettes"; -
Certitude d'un très bel avenir pour l'institution - à condition,
ai-je précisé, que le Médiateur soit choisi parmi
les plus compétents - ; n ai-je pas dit qu'il devait petit à petit
devenir e Sage de la République, le Solon des temps modernes ?
8°) Ta lettre, enfin, n'évoque aucune des idées généreuses
que j'ai développées au cours de l'émission : transparence
de l'action administrative et nécessité pour l'administration
de répondre par écrit aux demandes à elle adressées
par les citoyens ; simplification des procédures, judiciaires en
particulier ; instauration d'une justice identique pour tous (création
d'un ordre juridictionnel unique ; suppression des immunités de
fait ou de droit des fonctionnaires et des magistrats ... ), etc, etc....
Voilà, mon cher Jacques, ce qu'en homme d'honneur j'ai à te
dire en réponse à ta lettre du 31 octobre.
Au cours de l'émission de Claude REICHMAN, j'ai librement exposé ma
conception du rôle de la Médiature de la République,
dans le respect dû à chacun, et dans le souci de servir le
pays. Il est normal que tu aies porté à ma connaissance tes
appréciations ; il est naturel que je te réponde d'une manière
claire et franche. Le Médiateur est le protecteur des libertés
publiques, la principale étant de s'exprimer, avec les réserves
naturelles qu'elle comporte: le candidat MELENNEC sait très bien
cela.
Je te demande de vouloir bien joindre la présente lettre à la
tienne - non pas de la classer dans un autre dossier : les deux documents
s'éclairent l'un l'autre ; il importe que le futur lecteur soit
en mesure d'avoir une opinion personnelle.
Je te remercie aussi de vouloir bien me faire connaître les destinataires
de ta lettre du 31 octobre, afin, qu'étant mis en cause, je puisse
répondre conformément aux principes généraux
de notre Droit.
Reçois, mon cher Jacques, l'assurance de mes fidèles sentiments.